Décryptage
Rénovation énergétique : l’accompagnement confié aux régions… et au marché
Est-ce une simple évolution ou bien l’annonce d’une révolution d’inspiration « libérale » dans l’accompagnement du grand public pour le conseil en énergie ? Près de vingt ans après leur création par l’Ademe, les Espaces info énergie ne sont désormais plus financés par cet établissement public de l’État.
Aujourd’hui, 250 Espaces info énergie (EIE) maillent le territoire français, avec 840 conseillers qui portent ce service neutre et gratuit à destination des particuliers. En 2001, l’Ademe avait fait le choix de s’appuyer sur des structures locales existantes, en apportant financement de postes et outils d’information, tout en facilitant les cofinancements de collectivités locales et territoriales. Depuis cinq ans environ, l’agence avait aussi déployé selon ce principe 150 plateformes territoriales de la rénovation énergétique, sorte de miroir des initiatives de l’Agence nationale de l’habitat, dédié à “l’élite” : la rénovation performante, voire labellisée bâtiment basse consommation (BBC). Ce modèle, basé sur des subventions de fonctionnement pour payer les postes de conseiller, n’aura pas survécu aux contraintes budgétaires pesant sur l’Ademe et à la doctrine qui émerge depuis quelques années : finies les subventions, place au marché via les certificats d’économie d’énergie (CEE) versés par les fournisseurs d’énergie, les “obligés”.
« Trois fois plus de moyens financiers »… pendant trois ans
La fin des financements par l’Ademe n’est pas une surprise totale. « On annonce depuis plusieurs mois que l’on stoppe le financement des Espaces info énergie et des plateformes territoriales de la rénovation énergétique en février 2020, précise Joëlle Colosio, directrice exécutive adjointe des territoires à l’agence. Avec le nouveau dispositif SARE (Service d’accompagnement pour la rénovation énergétique, NDLR), l’accompagnement financé jusqu’ici par l’Ademe est délégué aux régions, qui ont cette compétence de service public et sont, pour nous, les premiers interlocuteurs. » L’agence reste alors la “tour de contrôle” du dispositif. Fin décembre, l’État a signé avec Régions de France un accord cadre qui doit permettre de prendre le relais. 200 millions d’euros sont crédités sur une période de trois ans, dans le cadre du programme SARE, financé à 50 % par les CEE. Les collectivités, régions et EPCI, sont invités à mettre sur la table l’autre moitié du financement. La métropole du Grand Paris et la région Bretagne sont les premières collectivités à avoir signé un tel accord territorial. « Avec ce programme financé par les CEE, nous multiplions par trois les moyens financiers octroyés jusqu’ici pour l’accompagnement des particuliers », souligne Joëlle Colosio.
« Un mécanisme financier provisoire, monté dans l’urgence »
Du côté du CLER, réseau pour la transition énergétique rassemblant une grande partie des structures porteuses d’un EIE ou d’une plateforme, ce changement laisse très perplexe. Le réseau attendait un montant 3 à 5 fois supérieur pour atteindre un niveau minimum d’un conseiller pour 50 000 habitants sur l’ensemble des territoires. « On peut se réjouir d’avoir ce financement plutôt que rien du tout. Mais le SARE est un mécanisme financier provisoire, monté dans l’urgence pour pallier l’absence de crédits de l’Ademe. C’est le système le plus insécurisant qui soit pour un service public », martèle Sandrine Buresi, coprésidente du CLER. Ce réseau réclamait depuis de longs mois le financement par l’État d’un service public de la performance énergétique et de l’habitat, inscrit dans la loi en 2015, et dont la mise en œuvre pratique doit revenir aux régions. Le programme SARE semble être la formule trouvée par l’État pour y répondre. Mais elle n’enchante pas le CLER.:.« On n’est pas contre une évolution. Sauf qu’ici l’État se défausse sur une collectivité dans une logique budgétaire ; il n’y a pas la volonté de construire un service pérenne », estime encore Sandrine Buresi.
Elle craint d’ailleurs un « renforcement des inégalités territoriales », suivant le degré d’implication des régions à cette question de rénovation énergétique… Et la conséquence d’un changement majeur dans le mode de financement des structures de conseil : elles seront désormais payées “à l’acte” et non plus par poste de conseiller. Un « changement de paradigme », comme le reconnaît Joëlle Colosio, imposé par le mécanisme des CEE. « Ça pousse à faire de la quantité au détriment de la qualité », dit Sandrine Buresi, qui pointe là les disparités entre les zones rurales, peu denses, et les métropoles, qui auront moins de difficulté à “faire du chiffre”.
Est-ce le coup de grâce pour les Espaces info énergie et leur esprit de neutralité, ou bien l’occasion d’un rebond pour ce service apprécié des Français, mais toujours méconnu et noyé dans le dispositif FAIRE* ? L’Ademe promet une évaluation du dispositif, prévu en globalité sur cinq ans, et n’exclut pas de possibles réajustements… si l’État le lui permet.
*Faciliter, accompagner et informer pour la rénovation énergétique