Portrait
Smart City : il change le logiciel des communes
Mathématicien de formation, longtemps ingénieur commercial au sein de grandes entreprises de télécom, Benoît Vagneur s’est appuyé sur son expérience d’élu local pour créer une offre de « smart city » qui intéresse aussi les communes rurales.
C’était peut-être le coup de fil de trop, au milieu de la nuit : un appel de la société américaine pour laquelle Benoît Vagneur travaillait alors depuis la Bretagne, pour une “confcall” forcément urgente, une de plus… « J’arrivais à la cinquantaine. J’avais toujours travaillé pour des grandes sociétés, en informatique puis dans les télécoms et les réseaux… Je commençais à me poser des questions sur le sens de ce travail sous pression permanente. »
La réponse sur son orientation professionnelle lui est venue de son lieu de vie, de son village : Saint-Sulpice-la-Forêt, la plus petite commune de Rennes-Métropole avec ses 1 350 habitants. En 2014, il se présente pour la première fois sur une liste pour l’élection municipale. Benoît Vagneur devient alors adjoint au maire, en charge de l’urbanisme et de la communication, dans une nouvelle équipe qui découvre le poids de l’énergie sur les finances municipales : « grâce au tableau de bord annuel produit par l’Agence locale de l’énergie et du climat de Rennes, nous avons vu que nos consommations étaient au-dessus de la normale et qu’elles augmentaient de 8 à 10 % par an, alors que la population, elle, restait stable. Il fallait savoir pourquoi… et agir. »
La réponse technique à un sujet politique
Le nouvel élu va mettre ses compétences professionnelles au service de sa commune en lançant un projet innovant. Pendant trois ans, un consortium déploie des capteurs dans les bâtiments communaux pour mesurer les consommations d’électricité, de gaz et d’eau. Une antenne LoRa WAN est placée sur la commune pour transmettre les informations des capteurs via des ondes radio. « C’est une technologie intéressante, car elle peut être déployée par les collectivités aussi bien que par les opérateurs de télécom. Une antenne couvre 10 km et jusqu’à 50 000 capteurs, pour une faible consommation d’énergie. » Passées au tamis de l’intelligence artificielle des logiciels, les données brutes éclairent les décisions des élus et des techniciens, améliorent l’usage des bâtiments au quotidien… Les résultats sont au rendez-vous et incitent Benoît Vagneur à dupliquer l’expérience dans d’autres collectivités, en passant cette fois de l’autre côté, celui du prestataire. Il crée en 2017 sa société, Sensing Vision, pour remettre du sens dans sa vie professionnelle autant que dans le fonctionnement des communes, avec une offre de service de “ville intelligente” ou “smart city”.
Le premier marché est remporté sur la commune voisine de Saint-Grégoire : 10 000 habitants à quelques kilomètres au nord de Rennes. Benoît Vagneur y emploie la même méthode qu’à Saint-Sulpice, avec cette fois trois antennes LoRa WAN, complétées par du wifi. « Je n’ai pas discuté de technologies, mais d’enjeux pour la collectivité. Leur première problématique était d’améliorer l’attractivité des commerces du centre-ville, en difficulté avec la proximité des zones commerciales de Rennes ; un sujet politique, pour lequel nous avons élaboré une réponse technique avec un “smart parking” de 150 places : grâce à des capteurs sur chaque place et une communication instantanée via Internet et des panneaux d’affichage sur la voirie, les habitants ont pu constater que le problème de stationnement qu’ils supposaient n’existait pas. » Une action visible parmi un programme plus vaste, où les économies d’énergies restent le moteur d’un projet de “ville intelligente” : « à Saint-Grégoire, le budget énergie est de 800 k€. Quand vous dites aux élus que vous pouvez baisser cette facture de 20 à 40 % rien qu’en optimisant l’existant, pas mal d’oreilles s’ouvrent… »
Une question d’échelle
Benoît Vagneur estime qu’un projet de “smart city” est paradoxalement plus facile à mener dans une petite commune rurale que dans une métropole. C’est pour lui une question d’agilité. « Dans une petite commune, le maire et le directeur des services peuvent mobiliser directement un budget pour traduire une volonté politique d’aller vers une transition énergétique. » La question de l’échelle vaut aussi pour le personnel municipal : « à Saint-Grégoire, c’est le responsable de la cantine qui a eu l’idée de poser des capteurs dans les chambres froides ; ils ont révélé des dysfonctionnements majeurs. Pas évident qu’une collectivité avec 20 000 agents parvienne à partager ainsi le sens d’une telle action… »
C’est pourtant le défi qui se présente à Sensing Vision, aujourd’hui forte de 14 salariés et 4 contrats d’alternance. Elle a remporté un marché “smart city” sur le département du Finistère : 400 antennes LoRa WAN seront implantées, reliées à l’infrastructure informatique. « C’est colossal, mais il y a un catalogue d’applications : les communes ne vont pas tout choisir. Et on va s’appuyer sur l’animation du syndicat d’électricité du Finistère. » Plus que jamais, il faudra de l’humain sur le terrain, pour traduire en kilowattheures réellement évités les promesses d’économies identifiées par les capteurs et calculées par les algorithmes.