Stratégie
Transition énergétique et justice sociale
La justice sociale est essentielle pour permettre aux ménages les plus modestes de prendre part à la transition énergétique. En octobre, l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) a publié une analyse sur l’accessibilité des ménages à la transition énergétique. Explication avec Charlotte Vailles, chercheuse à l’I4CE.
Dans vos travaux, vous vous concentrez sur les solutions nécessitant un investissement direct de la part des ménages, rénovation performante du logement et mobilité électrique notamment. Sur ces deux aspects, les aides publiques nationales ont-elles augmenté ?
Ces aides ont augmenté de manière significative depuis leur mise en place. Le montant maximal qu’un ménage pourrait obtenir est passé d’environ 20 000 € à 50 000 € entre 2008 et 2023, soit une augmentation de 160 %. Elles sont également devenues plus ciblées et sont davantage destinées aux revenus modestes et aux classes moyennes qu’aux plus aisés. Pour une même situation, il y a un ratio de deux entre les aides que peuvent percevoir les ménages modestes par rapport à celles des ménages aisés. Mais en pratique ça ne veut pas dire que ce sont les ménages modestes qui reçoivent le plus d’aides. En réalité, ces derniers sont moins souvent propriétaires de leur logement et achètent moins de véhicules neufs que les ménages aisés.
L’augmentation de ces aides permet-elle aux ménages les plus modestes d’engager leur transition énergétique ?
À l’heure actuelle, si on regarde la rénovation, le reste à charge [le montant de l’investissement moins les aides perçues, ndlr] pour les ménages est encore très important. Il se compte en dizaines de milliers d’euros et peut dépasser une année de revenu pour les classes moyennes. Pour financer ce reste à charge, les ménages peuvent souscrire un prêt, mais pour ça, il faut avoir la capacité d’endettement. Les ménages modestes et les classes moyennes qui sont propriétaires ont souvent déjà souscrit un prêt et sont au maximum de leur capacité d’endettement. C’est donc difficile pour eux de souscrire un autre prêt. Ensuite, il y a d’autres freins qui sont de nature différente. Effectuer des travaux de rénovation est contraignant. Il y a également un besoin de plus d’accompagnement et de plus d’artisans sur le territoire.
Concernant la mobilité, le reste à charge pour une borne de recharge et une voiture électrique, suivant le modèle, peut aller de 10 000 à 40 000 € même si pour certains modèles, il peut être inférieur au prix d’achat d’une voiture thermique équivalente. Pour la citadine standard qu’on a utilisée comme référence dans notre étude, le reste à charge pour les ménages des classes moyennes était de 26 000 à 28 000 €. Quand on le compare à leur revenu annuel, c’est entre 65 % et 130 % de celui-ci. On a également étudié les offres de leasing [location de voiture avec possibilité de rachat à la fin du contrat, ndlr]. Mais avec les offres consultées l’été dernier, les économies d’énergie faites en passant à l’électrique – environ 150 € par mois en moyenne pour un ménage français qui roule 13 000 km par an – ne permettaient pas de couvrir le loyer.
Quelles sont les perspectives pour que la transition énergétique soit l’affaire de tous ?
Pour le logement, on a eu accès au barème pour 2024 et la situation pour les rénovations performantes va s’améliorer l’année prochaine. Les aides seront augmentées et vont être indexées en fonction des revenus des ménages, mais aussi du nombre de classes de diagnostic de performance énergétique gagnées grâce à la rénovation. Le reste à charge devrait baisser pour tous les ménages, et notamment pour les classes moyennes. Côté mobilité, un dispositif annoncé par le gouvernement, qui s’appelle le leasing social, devrait arriver très prochainement. L’idée, c’est de mettre à disposition des personnes modestes et des classes moyennes un véhicule électrique pour un loyer de moins de 100 € par mois. Des évolutions vont aussi rendre les véhicules électriques plus attractifs : on voit arriver sur le marché des véhicules moins chers et dans le projet de loi de finances 2024, il y a une proposition d’augmenter le malus pour les véhicules thermiques.