Le tour de la question
Valoriser conjointement boues d’épuration et biodéchets : une piste pour plus de gaz vert ?
Aujourd’hui, une quarantaine de stations d’épuration injectent du biométhane produit à partir des eaux usées. Mais pourquoi ne pas mélanger biodéchets et boues d’épuration pour augmenter les capacités de production de gaz vert ?
Le potentiel brut du biométhane issu de boues d’épuration des stations d’épuration des eaux usées (Step) de plus de 10 000 habitants a été estimé par l’Ademe à 2 TWh par an. « Aujourd’hui, en France, 46 stations injectent du biométhane pour une capacité de production de 551 GWh par an », explique Laëtitia Aubeut-Chojnacki, chargée de développement biométhane chez GRDF. Pourquoi un tel décalage entre potentiel et réalité ? Pour une question d’équilibre économique et de seuil. Difficile, voire impossible, pour une petite station, de couvrir les coûts d’une installation avec des flux entrants de boues forcément moins importants que ceux d’une plus grande station.
Seuils de rentabilité économique
La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), dans un communiqué paru cet été, appelle donc à une réflexion autour de la valorisation conjointe des boues dites résiduaires et des autres biodéchets. « L’idée serait de mettre en place de la cométhanisation afin que des stations petites à moyennes atteignent des seuils de rentabilité économique », résume Régis Taisne, chef du département cycle de l’eau à la FNCCR. « C’est une énergie produite localement et décarbonée, ce qui fait sens dans le contexte actuel. Les projets pourraient ainsi être coconstruits avec les différents acteurs d’un territoire – les agriculteurs notamment – sous l’impulsion de la collectivité », poursuit Hervé Paul, vice-président de la Fédération.
Mais alors pourquoi cette solution n’est-elle pas déjà mise en place ? « Parce que la réglementation porte à confusion. Pour résumer, le mélange des déchets n’est pas possible au titre de la collecte, mais la loi n’est pas très claire concernant le mélange au titre du traitement et de la valorisation. Cela se fait à la marge, mais nécessite des dérogations préfectorales », détaille Laëtitia Aubeut-Chojnacki, de GRDF.
Réalisable techniquement
Sur le plan technique, le mélange est réalisable. « Les boues d’épuration sont générées par le traitement biologique aérobie de composés carbonés, azotés et phosphorés ainsi éliminés de nos eaux usées pour permettre un rejet au milieu naturel aquatique. Les boues sont ensuite séparées des eaux traitées. Elles sont donc en partie organiques, leur composition en carbone dépendant de la performance du traitement aérobie et de la présence ou non d’étape intermédiaire de décantation dite primaire, développe la chargée de développement biométhane. En France, la méthanisation qui valorise les intrants agricoles ou de collectivités s’est développée via des digesteurs qui fonctionnent en voie liquide, soit entre 5 % et 12 % de matières sèches. À partir du moment où vous intégrez des intrants ayant les mêmes spécificités en termes de biodégradabilité et les mêmes caractéristiques de qualité agronomique et sanitaire, alors la cométhanisation est possible. »
« Concernant la question du digestat des boues, il doit, comme celui issu des méthaniseurs agricoles, respecter des normes avant d’être épandu au sol ou composté, donc il n’y aurait pas de problèmes en cas de mélange », ajoute Régis Taisne, de la FNCCR. « Ses propriétés sont similaires au digestat des biodéchets. On reste là dans la philosophie de faire des déchets une ressource, et dans ce cas un fertilisant qui permet de se substituer aux engrais de synthèse », indique Laëtitia Aubeut-Chojnacki. La FNCCR demande, dans son communiqué, que la réglementation évolue en faveur de cette méthanisation conjointe, augmentant ainsi le volume de matière valorisable, et donc la viabilité technique et économique des projets.