Entretien
Décret sur l’agrivoltaïsme : « On a encore du travail ! »
Maraîchère bio dans le Lot-et-Garonne, Audrey Juillac est présidente de la Fédération française des producteurs agrivoltaïques (FFPA). Créée fin 2021, cette association réunit 160 adhérents dont plus d’une centaine d’agriculteurs et agricultrices en France porteurs de projets agrivoltaïques et une quarantaine de sociétés de développement ou de production d’énergie. Elle commente le décret publié début avril.
Le décret du 8 avril 2024 relatif au développement de l’agrivoltaïsme fait la distinction entre des technologies agrivoltaïques « éprouvées » et les autres, pour lesquelles les conditions d’implantation d’installations agrivoltaïques sont plus contraignantes. Le taux de couverture (rapport entre la surface maximale projetée au sol des modules et la surface de la parcelle agricole concernée, taux qui permet de garantir que la production agricole reste l’activité principale de la parcelle) est ainsi fixé à 40 % maximum pour les centrales de plus de 10 MWc « non éprouvées ».
La distinction entre technologie éprouvée et expérimentale est-elle une bonne chose ?
Audrey Juillac : La question du taux d’occupation des sols a généré beaucoup de débats. Nous sommes satisfaits du résultat, mais inquiets du temps nécessaire à fixer les listes des technologies considérées comme éprouvées ou expérimentales. Celle des technologies éprouvées doit être éditée par l’Ademe et fera ensuite l’objet d’un arrêté. À ma connaissance, l’Ademe souhaite avoir au moins deux ans de retours d’expérience, à partir de ses propres sources, pour déterminer les technologies éprouvées. Compte tenu de tous les débats que cela va susciter, notamment parce que les développeurs voudront défendre leurs propres technologies, je pense que nous n’aurons pas la liste avant 2025.
En attendant, quel est le taux de couverture maximal pour les prochaines installations ?
A. J. : Cela dépend du projet, et de la Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) qui donne son avis sur les dossiers. Nous lui faisons confiance car elle est qualifiée pour le faire. Nous restons attentifs aux doctrines locales que certaines chambres d’agriculture avaient éditées, et qui sont plus restrictives que le décret. Une chambre d’agriculture ne peut plus imposer un taux maximal de 20 % quand la loi dit 40 % (pour les installations non éprouvées). En attendant, les projets qui seront autorisés dans ce vide juridique le resteront.
Autre sujet sensible, le rendement : la production agricole (hors élevage) doit avoir une moyenne de rendement par hectare supérieure à 90 % de la moyenne d’une zone de référence…
A. J. : En effet, il faut une production agricole significative : on n’est pas sur des projets alibis ni sur une industrialisation des sols. Mais un rendement supérieur à 90 % (qui revient à une perte de rendement de 10 % maximum) reste problématique. Le décret donne le droit à un agriculteur de perdre 10 % de sa parcelle (Code de l’énergie, art. R. 314-118 I.1°) mais s’il perd de la place, le rendement risque de baisser aussi. D’autant plus que les machines qui installent les panneaux creusent et abîment le sol. Sur les premières années du projet, on perdra forcément plus de 10 % de rendement. Nous demandons de laisser passer six ans avant de comptabiliser les rendements. Concernant l’élevage, le décret n’est pas assez précis car on ne sait pas comment mesurer le rendement. Doit-on compter le lait, la viande ? Le poids de la carcasse une fois l’animal abattu ?
Le législateur doit encore préciser les modalités de contractualisation et de partage de la valeur générée entre l’exploitant, le producteur d’électricité et le propriétaire du terrain…
A. J. : On est sur un temps institutionnel très long. Un travail parlementaire sur le partage de la valeur est en cours, avec le député de la Vienne Pascal Lecamp. Une proposition de loi pourrait être présentée d’ici juillet. Le partage territorial de la valeur des projets est aussi inscrit dans l’article 93 de la loi APER (accélération de la production d’énergies renouvelables) du 10 mars 2023, dont le décret d’application est encore à l’étude. Plusieurs solutions sont proposées. On a encore du travail !