Le tour de la question
Développer le photovoltaïque au sol tout en préservant la biodiversité : le débat fait rage
Alors que le déploiement des centrales photovoltaïques en milieu naturel suscite de vives réactions de la part des défenseurs de la biodiversité, la filière photovoltaïque appelle à collaborer avec les écologues pour affronter la double crise climatique et de biodiversité.
L’ambition de l’État est claire. La nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie présentée en novembre prévoit 75 à 100 GW de capacité photovoltaïque d’ici 2035, en passant par une étape de 54 à 60 GW d’ici 2030. Une bonne partie de ces capacités sera installée au sol. Mais les défenseurs de la biodiversité craignent que cette croissance ne se fasse au détriment des espaces naturels. « Il faut s’allier face à la double crise climatique et de biodiversité », a déclaré Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), lors du colloque « Énergies renouvelables et biodiversité » organisé le 14 novembre à Paris. Il a rappelé que « l’action des industriels répond à une politique publique » et qu’il est « nécessaire de trouver un juste milieu sur les différents enjeux ». Mais « le débat a besoin d’objectivation », a-t-il ajouté.
Dialogue de sourds…
Le président du SER a évoqué l’autosaisine du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) dont les conclusions sur des projets photovoltaïques « aux emprises de plus en plus grandes qui émergent dans des habitats de prairies, de landes, de forêts, de lacs, de zones humides, d’espaces agricoles, y compris au sein d’aires protégées », ont été publiées à la fin de l’été. Il a vivement critiqué le fait que la filière photovoltaïque n’ait pas été consultée pour ce travail.
Dans son avis, le Conseil formule en effet 21 recommandations. La première étant de « mettre un terme à l’implantation de centrales photovoltaïques au sol dans les aires protégées et les espaces semi-naturels, naturels et forestiers ». Lors du colloque, Jules Nyssen a ainsi indiqué que « les terrains anthropisés (friches, terrains agricoles, toitures, etc.) ne suffiront pas pour atteindre les objectifs de développement fixés par l’État. Et d’ailleurs, tous ne sont pas adaptés techniquement. »
… et débat aveugle
Plus radicale encore, une tribune de l’Association nationale pour la biodiversité (ANB) et du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) publiée le 3 décembre dans le journal Reporterre*, cosignée par une soixantaine de scientifiques, de politiques et d’associations environnementales appelle à « un arrêt immédiat des centrales photovoltaïques en milieux naturels ». Ce collectif estime que « l’industrie du photovoltaïque projette, d’ici à 25 ans, de détruire plus de 150 000 hectares d’espaces naturels ». Mais sans expliquer l’origine de ce chiffre et alors même qu’il n’est pas cité dans le rapport du CNPN.
Dans un appel intitulé « Non ! Photovoltaïque au sol et protection de la biodiversité ne sont pas incompatibles ! », les associations négaWatt, Réseau Cler et EnR pour tous répondent : « Le chiffre de 150 000 hectares d’espaces naturels que l’hydre photovoltaïque projetterait de détruire ne correspond à aucun scénario prospectif sérieux. » Elles expliquent notamment que « l’immense majorité [des parcs au sol] concernera des terrains dégradés ou des terrains agricoles sous forme d’agrivoltaïsme ». Pour sortir des postures, Jules Nyssen a donc proposé lors du colloque du SER de « relancer une étude sur le potentiel de terrains anthropisés » afin d’objectiver les débats.
Travailler main dans la main
La filière solaire photovoltaïque a, dans un communiqué publié en novembre, vivement réagi à ces prises de position, regrettant de ne pas avoir été associée à l’avis du CNPN. Ensuite, elle rappelle que l’étude de l’Ademe, Sol et énergies renouvelables (2023), a montré que, quel que soit le scénario envisagé, un développement de centrales au sol est indispensable pour répondre aux ambitions de la France, les surfaces artificialisées ne pouvant suffire à répondre au besoin croissant d’énergie renouvelable. Elle estime, de plus, qu’avec la loi Aper (loi d’accélération des énergies renouvelables) du 10 mars 2023, les exigences environnementales des projets photovoltaïques ont été renforcées.
La filière rappelle enfin sa participation à des travaux de recherche pour évaluer l’impact de ces centrales au sol sur la biodiversité et invite le CNPN à rejoindre, par exemple, le programme Biodivoltaïque, copiloté par l’Ademe et l’OFB. Un programme qui vise à développer des protocoles de suivi standardisés « pour évaluer l’incidence des parcs photovoltaïques sur la biodiversité ». Plus globalement, le SER appelle à « une coopération durable avec le CNPN en vue de partager les approches et les connaissances et développer des solutions concrètes », incluant « des mesures de limitation des impacts, une gestion écologique optimisée des sites et une amélioration des méthodes de mise en œuvre des projets ».
* Une première version de cette tribune avait été publiée dans le quotidien Libération le 5 novembre.