Décryptage

Digestat : mirage ou opportunité pour le bio ?

Les effluents sortant des méthaniseurs peuvent être utilisés pour fertiliser les cultures biologiques, à condition de respecter un approvisionnement restrictif du méthaniseur en matériaux fermentescibles.

PAR ALEXIS DUFUMIER - FéVRIER 2022
Les digestats utilisables en agriculture biologique ne doivent pas être issus d’élevages industriels, ni d’autres matières non UAB comme les biodéchets des gros producteurs. ©Alexis Dufumier

Utiliser le digestat, sous-produit de la méthanisation, comme solution pour fertiliser les cultures en agriculture biologique, c’est possible sous conditions. Le digestat de méthaniseur apparaît en effet à l’annexe II du règlement (UE) 2018/848 relatif aux engrais, amendements du sol et éléments nutritifs utilisables en agriculture biologique (UAB). Et son recours peut présenter de nombreux intérêts.

Une synergie profitable

La fertilisation en bio est reconnue comme un des facteurs les plus limitants du rendement avec l’enherbement. Les producteurs bio, dont le cahier des charges est contraignant sur ce point, ont en effet souvent des difficultés pour trouver des sources d’azote, et notamment des sources d’azote disponible rapidement pour alimenter les cultures aux moments clés de leur croissance. Or, la méthanisation, qui digère la matière organique apportée, permet de libérer une grande partie de l’azote contenu dans la matière mise à fermenter, sous une forme ammoniacale directement assimilable par les plantes. Ainsi, l’agriculture biologique et les méthaniseurs peuvent entrer en synergie sur le plan agronomique. Plusieurs exemples de ces synergies existent. Le projet collectif de méthanisation Valbioénergie en Lorraine associe notamment deux exploitations en conversion bio dans cette optique de fertiliser les cultures avec le digestat. Certains projets de conversion ou d’installation en bio sont entièrement centrés autour des synergies pour sécuriser la fertilité avec un méthaniseur.

Un frein réglementaire

Les exemples de synergie entre méthanisation et fertilisation des cultures bio ne doivent cependant pas cacher le strict encadrement lié à cette pratique. Dès qu’un ingrédient non utilisable comme fertilisant en agriculture biologique (c’est-à-dire non listé à l’annexe II) est employé dans un méthaniseur, l’ensemble des digestats produits n’est plus utilisable sur des cultures bio. Pour que les digestats le soient, les méthaniseurs peuvent recevoir des effluents d’élevages conventionnels à condition que ces élevages respectent certains seuils (1) en vigueur depuis le 1er janvier 2021. Les digesteurs peuvent recevoir des biodéchets alimentaires triés à la source des ménages, mais pas ceux issus des producteurs professionnels : les “gros producteurs” comme la restauration, les entreprises agro-alimentaires, les grandes surfaces alimentaires, etc. Or la gestion de ces déchets par les exploitants d’un méthaniseur peut être très intéressante financièrement. En effet, les producteurs de ces déchets payent à l’exploitant du méthaniseur pour la prise en charge de leurs flux. Si cette option est privilégiée, alors les digestats ne peuvent plus être épandus sur des terres en agriculture biologique. Ainsi, le choix de favoriser le modèle économique du digesteur risque souvent de l’emporter sur celui de la sanctuarisation des digestats dans la filière bio. Il se trouve même des situations paradoxales où des agriculteurs bio exploitent un méthaniseur sans pouvoir épandre le digestat sur leurs propres terres.

(1) « Sont exclus d’une utilisation sur des terres biologiques les effluents : d’élevages en système caillebotis ou grilles intégral dépassant 3 000 emplacements pour porcs de production et 900 emplacements pour truies, d’élevages en cages dépassant 60 000 emplacements pour poules pondeuses. »

Une réglementation sur le gril

La réglementation bio applicable aux fertilisants a déjà changé depuis le 1er janvier 2021 et elle est amenée à être encore modifiée. Un État membre aurait lancé les démarches pour pouvoir intégrer les biodéchets alimentaires triés à la source des gros producteurs dans le processus de fertilisation. Par ailleurs un groupe d’expert européen, l’EGTOP (expert group for technical advice on organic production, le groupe d’experts appelé à formuler des avis techniques sur la production biologique), doit de nouveau travailler pour fournir une liste harmonisée – à l’échelle de l’Union européenne – des effluents d’élevage admissibles, qui pourrait rebattre les cartes de ce qui est autorisé en France. Selon les choix des acteurs dans les territoires et l’évolution réglementaire, la méthanisation pourra soit devenir un fournisseur majeur d’engrais pour les filières bio, soit au contraire détourner des ressources potentiellement utilisables en agriculture biologique (UAB) par le jeu des mélanges de matières UAB et non UAB au sein des méthaniseurs.

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