Stratégie
FertigHy : un engrais bas carbone pour réduire les émissions de l’agriculture
Dans la Somme, une usine d’engrais azotés décarbonés devrait voir le jour d’ici 2030. FertigHy, un consortium porté par de grosses entreprises européennes, prévoit la production de 500 000 tonnes d’engrais par an, via un site entièrement électrifié reposant sur le mix électrique français.

En France, l’agriculture représente 18 à 19 % des émissions de gaz à effet de serre, en deuxième position derrière les transports, mais devant les secteurs tertiaire, résidentiel et manufacturier. Si l’élevage demeure le secteur le plus émissif, les cultures ne sont pas en reste, atteignant 20,6 millions de tonnes équivalent CO₂ (Mt CO₂e) en 2024, soit près d’un tiers des émissions agricoles.
Décarboner la production d’engrais
Une grande majorité de ces émissions proviennent de la production et de l’utilisation de fertilisants. « À l’échelle d’un champ de blé, jusqu’à 80 % des émissions de gaz à effet de serre proviennent des intrants azotés, dont la moitié lors de leur fabrication », explique Olivier Clyti, directeur du développement stratégique chez InVivo, une union de coopératives. Les engrais azotés sont produits à base de gaz naturel importé et d’énergies fossiles. L’hydrogène du gaz naturel est associé à l’azote de l’air à haute température et sous pression pour produire de l’ammoniac, un gaz qui, une fois oxydé, donne l’acide nitrique. Plusieurs types d’engrais azotés peuvent être issus de l’acide nitrique, mais ces procédés sont toujours dépendants d’énergies fossiles.
Face à cet impact, un projet d’usine pionnière dans la production d’engrais décarbonés est porté par un consortium européen réunissant InVivo, EIT Innoenergy, Siemens, Maire Tecnimont, Ric Energy et Heineken. Le site industriel de FertigHy devrait produire dès 2030 quelque 500 000 tonnes par an de CAN 27 (nitrate de calcium d’ammonium), un engrais azoté peu émissif. L’usine sera implantée sur la commune de Languevoisin-Quiquery, dans la Somme. Elle utilisera l’énergie électrique pour produire de l’hydrogène, par électrolyse de l’eau, un procédé chimique. Cet hydrogène sera alors changé en ammoniac pour suivre le processus classique de production des engrais.
Usine pionnière
« Le projet prévoyait initialement une implantation en Espagne, où nous aurions pu bénéficier de l’énergie solaire pour faire fonctionner l’électrolyseur qui transformera l’eau en ammoniac, explique Olivier Clyti. Mais la volonté politique, la disponibilité rapide d’un terrain et la possibilité de disposer du mix électrique français peu carboné l’ont emporté. » Grâce à un raccordement au réseau électrique et à des contrats à long terme (PPA) avec EDF, le site, qui consommera 2 TWh par an, vise une autonomie énergétique 100 % électrique.
Avec un montant total d’investissement d’environ 1,2 milliard d’euros, FertigHy devrait permettre une économie de 1 Mt CO₂e/an environ. Le coût d’un engrais bas carbone pourrait atteindre le double de celui d’un engrais classique, mais des aides publiques et des engagements industriels devraient réduire l’écart. L’usine FertigHy sera implantée près du canal Seine-Nord Europe, pour irriguer principalement l’agriculture française, qui requiert 6 Mt d’engrais par an, tout en restant connectée aux flux européens, le marché communautaire atteignant 11 Mt par an.
D’autres leviers pour baisser l’impact carbone
Au-delà de la production des engrais, InVivo travaille à réduire les émissions au champ. Par exemple, avec l’analyse de vues satellites des champs, couplées à d’autres données, telles que la réserve des sols en eau ou la nature du sol, les agriculteurs peuvent déjà baisser de 20 % les doses d’engrais utilisés. D’autres leviers sont à l’étude, comme les inhibiteurs de nitrification, des produits chimiques qui diminuent les émissions de protoxyde d’azote (N₂O) venant de la dégradation de l’azote.