Entretien

« La clé du stockage du carbone, c’est le vivant »

Francis Bucaille est agriculteur, chercheur, auteur du livre “Revitaliser les sols” (Dunod, 2020) et cofondateur de la start-up Gaïago, qui développe un projet de crédits carbone pour rémunérer les agriculteurs. Il revient sur l’intérêt de stocker le carbone dans les sols agricoles.

PAR ALEXIS DUFUMIER - FéVRIER 2022
Francis Bucaille est agronome, agriculteur dans la Nièvre et fondateur de Gaïago. ©Alexis Dufumier

En quoi l’agriculture est-elle contributive au changement climatique ?

L’agriculture est contributive aux émissions de gaz à effet de serre essentiellement en raison de la rumination des animaux d’élevage et par la fabrication et l’utilisation d’engrais azotés. Cependant l’agriculture peut devenir un secteur de stockage net de carbone, par le stockage dans les sols.

Pourquoi les sols agricoles ont-ils encore tendance à déstocker du carbone ?

C’est le grand paradoxe de l’agriculture productive que nous connaissons depuis presque 80 ans maintenant. Avec les apports d’engrais minéraux, la hausse des rendements s’est accompagnée d’une hausse des restitutions de matière organique au sol sous forme essentiellement de résidus de cultures, d’exsudats et de couverts végétaux. Malgré cela, les taux de matière organique ont continué de se dégrader. Cependant, ce paradoxe, n’en est plus un lorsque l’on prend conscience que le stockage de la matière organique dans les sols se fait sous contrôle du vivant. En étudiant ces mécanismes, on comprend en effet que par nos pratiques, nous avons sélectionné des voies essentiellement bactériennes de dégradation de la matière organique au détriment de l’activité des champignons. Or les constructeurs d’humus stable sont les champignons. C’est pourquoi même l’agriculture bio, quand elle a recours à des fongicides comme le cuivre ou certaines huiles essentielles, ne résout pas ce paradoxe apparent de la matière organique.

Quelles sont les solutions ?

Nous avons aujourd’hui des connaissances qui nous autorisent à rester optimistes, mais qui nous interdisent de rester béats. Utiliser moins de fongicides est une piste pour restaurer la flore fongique des sols. Restituer des matériaux riches en lignine, l’aliment de choix des lignivores, en est une autre. Je conseille d’apporter une ration ciblée pour les champignons aussi fréquemment que possible. Les engrais verts sont souvent constitués de végétaux immatures riches en azote soluble et favorables à l’activité des bactéries. Pour cibler les champignons, je conseille de viser un niveau de maturité plus avancé de ces couverts avant leur mélange au sol ou bien “d’équilibrer la ration” en les combinant avec les chaumes/pailles de la culture précédente, par exemple.
Une plante souvent décriée comme le maïs est très écologique car cultivée sans fongicide (contrairement aux céréales à paille). Par ailleurs elle restitue une biomasse mâture importante à la saison où les champignons s’expriment le mieux : en automne.

Qu’est-ce que l’agriculteur peut y gagner ?

Le rétablissement d’un cercle vertueux de stockage du carbone dans les sols et la présence de champignons peuvent apporter beaucoup de bénéfices aux agriculteurs. C’est en reconstruisant les stocks d’humus et en revitalisant les sols qu’ils prendront confiance petit à petit dans leurs nouvelles pratiques. En effet, tout agriculteur sait qu’un sol qui fonctionne bien sur le plan de la matière organique est un sol plus facile à travailler. Les cultures profitent de nouvelles solidarités dans le sol pour s’approvisionner en nutriments. Les agriculteurs peuvent réduire leurs apports d’engrais. La meilleure vitalité des plantes diminue le besoin de recourir aux applications phytosanitaires. Aussi, les initiatives de rémunération des agriculteurs par la vente de crédits carbone dans les sols vont dans le bon sens pour les inciter à franchir les premiers pas. C’est un bon activateur pour mettre en selle les producteurs.

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