Entretien
La déshydratation de luzerne : une filière vertueuse en quête de développement
Fortement engagée dans la transition énergétique, la déshydratation de luzerne améliore sans cesse son bilan carbone. Rencontre avec Denis Le Chatelier, responsable de la communication de la Coopération agricole Luzerne de France.
Quels sont les avantages de la luzerne pour un agriculteur ?
Il s’agit d’une plante destinée à être consommée par les ruminants (vaches laitières, moutons, chèvres, etc.) très intéressante d’un point de vue agro-écologique. Riche en protéines, ce fourrage ne nécessite, par exemple, aucun engrais azoté. Comme toutes les légumineuses, la luzerne est en effet capable de capter directement dans l’air l’azote dont elle a besoin. Autre avantage : elle est pérenne (généralement pour une durée de trois ans) et ses racines, profondes et pivotantes, permettent notamment d’éviter le recours à l’irrigation. Pourtant, la luzerne ne concerne que 7,5 % de la production française de protéines alimentaires. En termes de surface, cela représente 300 000 hectares, dont seulement 70 000 font l’objet d’un traitement thermique pour la déshydratation. Le reste est produit par les éleveurs eux-mêmes en auto-consommation.
Comment la filière parvient-elle à améliorer continuellement son bilan carbone ?
Celui-ci est même désormais positif, y compris pour le processus industriel. Le bilan a été mesuré officiellement la dernière fois en 2011 par l’Institut national de la recherche agronomique, mais il est actuellement mis à jour avec les nouvelles données de performances. Pour parvenir à ce résultat, nous avons mis en place deux nouvelles pratiques, adoptées progressivement par les éleveurs et les entreprises de déshydratation : le préfanage et la substitution des énergies fossiles par des énergies renouvelables.
En quoi consiste le préfanage ?
Le process industriel de déshydratation se résume à placer la luzerne dans de grands tambours chauffés en phase directe pendant plusieurs minutes. Évidemment, plus on rentre un produit sec et moins on a d’eau à retirer. Il y a une vingtaine d’années, la luzerne était encore récoltée et chargée directement dans les camions. Aujourd’hui, le préfanage consiste à laisser le produit étalé sur toute la surface du champ pendant 24 à 48 heures avant de le transporter. Cela a nécessité d’importants investissements, mais nous sommes passés ainsi d’un taux de matière sèche entrant en usine de 22 %, à 40 %.
Qu’en est-il du taux de biomasse dans le mix ?
Le taux est actuellement de 15 %, avec un objectif de 40 % en 2025. Pour adopter la biomasse dans le mix énergétique, une partie du charbon utilisé pour déshydrater la luzerne a été remplacée par des plaquettes de bois forestières. Il a fallu pour cela concevoir des injecteurs spécifiques, tenant compte de la structure du bois et de l’humidité. Un bois humide est en effet plus complexe à traiter que le charbon dont on connaît bien le pouvoir calorifique. Grâce à ces nouvelles pratiques, les usines de déshydratation ont réduit leur consommation d’énergie par tonne de produit fini de plus de 40 % en vingt ans.
Comptez-vous accélérer le développement de la filière ?
Nous souhaitons augmenter progressivement notre production et participer à la transition énergétique, mais pour intéresser les agriculteurs, la rentabilité est primordiale. Dans le cas contraire, ils se tourneront vers d’autres produits comme le colza ou le soja. Or, nous avons établi un scénario avec une taxe de 40 euros la tonne de CO2 en 2030. Cela signifierait un produit plus cher d’environ 15 euros la tonne, et donc moins compétitif. Pour rester dans les prix du marché, nous revendiquons le statut protecteur “fuite de carbone”. Celui-ci nous permettrait d’obtenir une allocation gratuite de quotas d’émissions de gaz à effet de serre.