Apprendre des autres
Picture, ou la recherche de vêtements bas carbone
Florian Palluel est « sustainability manager » – responsable de l’engagement environnemental – chez Picture, une marque française de vêtements techniques et d’activités de plein air qui explore toutes les pistes pour réduire son empreinte carbone.
Depuis quand avez-vous mis en place une politique bas carbone ?
La marque Picture a été créée en 2008 avec des valeurs telles que l’utilisation de matières recyclées, de matières biologiques, la réparation des produits, etc. Je suis arrivé en 2012 avec plusieurs casquettes, dont la RSE et le marketing. L’entreprise a grandi et depuis 2018, je n’ai gardé que celle liée à l’engagement environnemental. En novembre 2019, nous avons obtenu en six mois la certification B Corp [label international sur l’impact social, environnemental et sociétal des entreprises, Ndlr]. En 2020, nous avons réalisé notre bilan carbone sur l’année précédente.
Sans surprise, 80 % de nos émissions de gaz à effet de serre se situent au niveau de la fabrication des produits, à savoir la filature, le tissage et la teinture, qui dépendent fortement des énergies fossiles. C’est le cas pour quasiment toutes les marques de textile, car ces étapes nécessitent des machines énergivores, le plus souvent situées dans des pays où les mix électriques sont très carbonés. Picture fait fabriquer une partie de ses articles en Chine et à Taïwan, où la majorité de l’électricité est produite à partir de charbon et de gaz. Nous fabriquons aussi en Turquie et au Vietnam, où le mix électrique est légèrement moins carboné. Et nous avons un peu de production dans deux pays bas carbone, le Portugal (chaussettes) et la France (cache-cou).
Deux angles d’attaque sont alors possibles. Soit on déplace la production dans des pays bas carbone comme la France, le Portugal ou le Brésil. Soit on mène la transition énergétique en local.
Quelle stratégie avez-vous choisie ?
Nous n’avons pas relocalisé notre production car nous nous heurtons à notre modèle de distribution. Les pays bas carbone sont en Europe, pas en Asie. En fabriquant en Europe, nous n’arriverions pas à avoir des prix suffisamment intéressants pour être bien placés sur nos marchés. L’essentiel de notre chiffre d’affaires vient de la vente à des magasins, qui rajoutent leurs marges. Les marques engagées récentes qui font du made in France et du made in Portugal sont en bonne partie en vente directe. Nous nous devons d’avancer sur le sujet. Au-delà du modèle de distribution qui n’aide pas, nous avons aussi des relations depuis 2009 avec nos partenaires en Chine et Turquie : les « quitter » n’est pas un choix simple. Nous cherchons donc pour l’instant à accompagner nos fournisseurs dans leurs démarches de décarbonation.
Comment vous y prenez-vous ?
En 2022, nous avons rejoint l’European Outdoor Group (EOG, groupe européen de l’outdoor), qui mène une stratégie de décarbonation en collaboration avec d’autres marques présentes dans les usines visées. Nous avons commencé par identifier les usines que nous voulions cibler. Picture est minoritaire dans leurs volumes de production. Collaborer avec d’autres marques permet de gagner en influence. Notre fournisseur historique en Chine a accepté de faire l’objet d’un audit énergétique. Mais il ne fait que de l’assemblage, qui n’est pas un poste très énergivore. Derrière chaque entreprise d’assemblage (nous en avons une vingtaine), il y a entre trois et quatre fournisseurs qui font la partie filature, tissage et teinture. Ce n’est pas du tout évident de les identifier. Toutes les marques impliquées dans EOG ont fait ce travail de cartographie. Les audits énergétiques sont cofinancés par les marques membres, de même que les actions de décarbonation.
Avez-vous d’autres exemples d’actions ?
Au Vietnam, nous avons mis en relation nos partenaires vietnamiens avec le fournisseur d’énergie solaire BayWa r.e. Si elle aboutit, l’idée serait que BayWa r.e. loue leurs toitures pour y installer des panneaux photovoltaïques, et leur revende l’électricité à un tarif avantageux, ce qui couvrirait 15 % à 30 % de leurs besoins en électricité. Nous mettons aussi l’accent sur la sobriété, comme avec la garantie de réparabilité à vie mise en place en 2020 pour les zips, les boutons et les coutures de nos produits techniques. Les achats évités évitent aussi l’émission de gaz à effet de serre. De même, nous proposons la location de tenues de ski et la vente de produits reconditionnés. Nous développons ces initiatives par conviction et elles apportent un gain en termes d’image de marque. Mais pour l’instant, ces modèles d’affaires ne viennent pas suffisamment concurrencer la vente de vêtements neufs.
Picture en chiffres
Basée à Cébazat dans le Puy-de-Dôme, avec des bureaux à Annecy, l’entreprise Picture Organic Clothing a un effectif d’environ 100 personnes. Présente dans une trentaine de pays, elle devrait réaliser en 2023 un chiffre d’affaires d’environ 40 M€, en forte augmentation depuis 2022.